vendredi 25 mai 2007

Romaaaan! Pour les courageux...

Vous avez droit, dans mon immense clémence, à mon début de roman. Oui, d'accord, étant un trip héroïco-fantasyque, ce n'ets pas de la grande littérature, mais... L'intrigue ne sera pas manichéenne. Pas de méchants contre les gentils, juste le récit d'une quête d'identité...
Pour ceux qui ont déjà lu l'ancien début, vous verrez qu'Omnicittà s'est changée en Pantapolis (du grec panta: tout et polis: ville) et Temariah en Dikea (de dikê: la justice). Enwelenn ne devrait pas tarder à changer de nom, et l'histoire à commencer!


Voilà!
Enjoy^^

Fées



C’était la fin de la nuit. Bientôt, le jour ne tarderait pas à poindre et inonderait les remparts de Pantapolis de sa lumière chaude, qui irriguerait les canaux solaires de la ville. Les boulangers ouvriraient leurs baraques et l’odeur des brioches et des pains frais et chauds emplirait l’air encore chargé de la rosée du matin. Le ciel étirerait de larges bandes roses, jaunes, blanches, crayons pastels qui colorieraient le ciel, puis s’effaceraient pour laisser le ciel limpide du printemps qui s’annonçait, peu à peu, au fil du temps. Puis la ville s’éveillerait sous les exhortations des commerçants commençant leur journée, des charretiers sur leur charrette brinquebalant sur les pavés, qui jureraient tout autant que dans leur réputation, et au cris des bébés qui pleureraient.
Mais cette ville-là dormait. Les lourdes portes en chêne et fer massif, encore fermées, empêchaient pour l’instant tout voyageur de pénétrer dans la capitale du Zulma. Et les remparts de pierre ocre étaient si hauts qu’on ne pouvait pénétrer dans la ville que par les airs.
Au pied de l’immense muraille et des pesantes portes de la ville, une nymphe d’eau, assise à côté d’un berceau, perdait toute l’eau qui lui tenait lieu de sang. Très faible, elle caressait un visage de nourrisson qui pointait au milieu d’un amas de tissu dans le panier, murmurant une berceuse de sa voix claire. Elle était manifestement très mal en point, à en croire une coupure sur son flanc frêle. Curieux phénomène, la silhouette de l’entité aqueuse était éclairée d’une lumière qui n’était pas celle de la lune évanescente, mais qui semblait venir du cœur de la créature elle-même, comme si la vie qui la quittait peu à peu rayonnait.
Un rayon pointa derrière la chaîne de montagnes qui s’offrait à la vue, face à Pantapolis. Tel un pinceau d’or, il s’insinua un peu partout, peignit une touche claire sur la muraille, fit tinter un reflet sur la porte de fer, pour être suivi par des milliers de rayons dorés qui semblaient la chevelure de l’astre solaire. En cet instant, calme, si pur et lumineux, tout semblait en harmonie légère. Le rayon fluctua dans les veines de la nymphe. Un frisson la parcourut, puis elle soupira de soulagement. Tout son être vibra de la lumière renaissante, puis, tout doucement, la vie en elle s’éteignit. La nymphe partit en fumée, sous les yeux d’un garde qui ouvrait les portes de la ville. Toutes les particules d’eau qui la constituaient s’envolèrent vers le ciel limpide, et bientôt il ne resta plus rien de l’être qui se tenait aux portes de la ville. La nymphe était morte.
Le bébé, sous les lueurs naissantes du soleil, s’éveilla .Il sentit la faim mais ne pleura pas. Il se contenta de regarder avec des yeux ronds l’aurore qui zébrait de pastel le ciel, les murailles de la ville qui s’irisaient aux lumières de l’aube.
Le garde en chef, qui ouvrait la porte, remarqua le panier plein de chiffons.
« Qu’est-ce que ça peut bien être… ? »grommela-t-il dans sa barbe d’un roux flamboyant.
Il ramassa le couffin d’ajoncs. Qu’est-ce qu’il pouvait bien y avoir ? Il écarta les amas de tissus, et découvrit avec stupeur le bébé qui le regardait placidement.
Bon. Voilà qui allait lui donner du fil à retordre. Un bébé ! Qu’allait-il en faire ? Il se gratta la tête, gêné, le panier dans l’autre main, juste avant de s’apercevoir qu’il grattait son casque, et non son crâne. Un bébé !
Il prit rapidement une décision, et confia le bébé à l’un des hommes qu’il avait sous ses ordres. Le garde pouvait faire ce qu’il voulait du bébé, lui dit-il.
Le pauvre homme, complètement désappointé, finit par décider de laisser le bébé au temple de la ville. Les prêtresses de Dikéa, déesse de la justice et des forces de la nature, sauraient sûrement quoi en faire.
Il remonta, le couffin dans ses bras, l’allée principale de la ville. Les commerçants installaient déjà leurs étals le long de l’avenue pavée, qui menait en une pente montante vers la mairie, un imposant bâtiment un tantinet pompeux de style antique en pierre claire, posée au bout du grand boulevard, comme pour le finir en apothéose .
La mairie se situait en fait sur une place au bout de la grande rue. Autour d’une fontaine représentant des poissons, de nombreux bâtiments étaient disposés. On y trouvait le temple de Dikéa, la Bibliothèque, diverses échoppes en bois encore fermées, en raison de l’heure. Pantapolis s’éveillait, et bientôt les places, les rues seraient emplies des bruits de la vie de tous le jours.
Le soldat gravit les marches qui menaient à l’entrée de l’imposant temple. Il passa la porte, déjà ouverte par les prêtresses qui se levaient très tôt, et pénétra dans l’enceinte du lieu de culte.
Tout n’y était que lumière et douceur. L’encens embaumait la grande pièce très dépouillée, dont le mobilier se résumait à un autel en marbre finement sculpté, et de larges vitraux colorés baignaient la pièce d’une lueur paisible. Le garde traversa la salle, le panier dans les bras.
Devant l’autel, trois personnes se trouvaient : une prêtresse, vêtue d’une longue robe immaculée, dont la masse de cheveux bruns épais tombaient jusqu’au sol, un homme vêtu d’une cape, et une femme, très belle, aux longs cheveux blonds vaporeux blottie contre l’homme, et qui pleurait silencieusement, une main contre son ventre.
Le garde s’avança vers le petit groupe et se gratta discrètement la gorge. La prêtresse, qui était de dos, se retourna et le salua.
« Bonjour, garde. Que viens-tu faire ici, dans l’enceinte d’un temple ? Tu sais bien que les armes sont interdites ici. Les hommes sont égaux devant les lois de la nature.
-Je sais bien, Ô prêtresse de la grande Dikéa, mais voyez ce que je vous apporte. »
Il posa le panier au sol et s’agenouilla pour dégager la tête de l’enfant, qu’il désigna à la prêtresse. Elle parut très surprise, et demanda au garde :
« Où as-tu trouvé cet enfant ?
-Aux portes de la ville. C’est mon chef qui m’a ordonné de l’emmener et d’en faire ce que je voudrais. Vous voyez, je vous l’amène. C’est gênant ?
-Tu ne pouvais pas tomber mieux…vois ces personnes. »Elle lui présenta le couple près de l’autel.
« Voici le duc d’Esprit, et sa femme. Ils...
-Nous pouvons nous présenter seuls, la coupa avec un tantinet d’agacement l’homme. Ma femme et moi ne pouvons plus avoir d’enfant…
-J’ai été enceinte, continua la femme, la voix encore chargée de larmes, mais je suis tombée de cheval et l’enfant a été perdu. Désormais, je ne pourrai plus jamais porter de bébé, ni donner la vie… Nous venions voir la prêtresse pour lui demander s’il n’y avait plus une lueur d’espoir, mais hélas…
-Et voici que vous vous présentez ici avec un enfant ! Nous permettriez-vous de le recueillir ? nous le traiterions comme notre propre petit. »
Le garde n’hésita pas pour répondre. Un bébé ! Il n’en voulait pas, lui, il avait déjà dix enfants, tous plus braillards les uns que les autres, et un de plus l’embêterait bien. Et puis, il y avait aussi sa femme, qui était malade, la pauvre n’en pouvait plus.
« Faites-en ce que vous voulez. Moi, j’m’en fiche. »
Il se dirigea vers la sortie d’un pas lourd.
« Attendez ! s’écria le duc, Votre nom ! » Le garde se retourna, et revint.
« Geoffrey de la Muraille. Çui qui parle jamais. »
En guise de réponse, le duc lui glissa une pièce d’or dans la main. Et le soldat s’en fut pour ne plus s’en retourner.
Pendant que son mari contemplait, pensif, le garde partir, la duchesse, délicate, s’agenouilla près du panier et entreprit d’emmailloter le bébé à l’aide des chiffons qu’il contenait. L’enfant se mit à gazouiller. Elle finit sa tâche et se releva, le nouveau-né dans ses bras.
« Il a moins d’une semaine, remarqua-t-elle. Quels beaux yeux bleus… » Mais elle poussa un hoquet de surprise. De bleus, les yeux de l’enfant étaient devenus verts, pour passer progressivement au…pourpre ! Le bébé se mit à pleurer.
« Il a faim, Lucie. Il faut le nourrir, l’informa le duc, l’air d’en savoir long sur les nouveaux-nés, ce qui, bien sûr n’avait absolument rien de vrai.
-Maël…Maël…Les yeux du bébé ont changé de couleur !
-Pardon ? »
Il se baissa vers le petit. Pour se relever immédiatement, le souffle coupé.
La prêtresse, qui assistait à ce manège, poussa un soupir exaspéré. Elle n’avait pas que cela à faire. Elle prit son ton le plus agréable, et sit :
« Messire le duc, peut-être voudriez-vous faire baptiser l’enfant, consigner cette adoption dans le registre…
-Oui, oui, dit l’intéressé, encore perturbé par les yeux de l’enfant, absent.
-Bien. Nous allons donc procéder au rituel. »
La prêtresse se dirigea vers l’autel. Elle sortit d’une cavité située derrière le meuble de marbre de l’encens, de l’huile sacrée, un fin couteau d’or au manche de bois délicat orné d’entrelacs d’argent.
Elle pria la duchesse de déposer l’enfant sur l’autel. Précautionneusement, elle le déshabilla, puis lui saisit la cheville. L’enfant cessa de pleurer et regarda, étonné, la prêtresse qui prenait son couteau…et lui entailla le pied. Il hurla. Ou plutôt, elle hurla. Car, après déshabillage, il était plutôt apparent que c’était une fille… mais ce cri n’égala pas la stupeur des adultes dans la temple. Car de l’entaille ne coulait pas du sang. Mais un curieux liquide doré qui ressemblait à…
« De la sève ? « demanda le duc. La prêtresse secoua la tête en signe de dénégation. Non, ce n’était pas de la sève. C’était plus lisse. On aurait dit de l’or liquide. Mais la prêtresse continua son rituel. Elle déposa une goutte du fluide vital indéterminé de l’enfant sur le registre.
« Quel nom désirez-vous lui donner ? »
les deux époux se scrutèrent. D’une voix mal assurée, la femme proposa :
« Enwelenn. Ce mot dignifie paix dans une langue qui n’existe désormais plus que dans les livres… »Le duc acquiesça.
« Paix… Puisse ce nom t’être un fil de vie » murmura la prêtresse, finissant d’écrire dans le registre. Elle déposa une goutte d’huile sur le front du bébé avec son doigt. Puis elle alluma un bâton d’encens qu’elle mit par terre, au milieu de tant d’autres, dans un coin du temple. Elle remit le bébé aux bras de sa mère adoptive. Le rituel était fini. La prêtresse s’inclina devant le duc et la duchesse, puis partit dans un froufrou de tissu, ses cheveux longs flottant derrière elle. Les deux nouveaux parents restèrent un moment sans rien dire. Puis ils partirent.


Le froufrou des jupons d’Enwelenn, doublé de son pas rythmé, retentit sur les dalles du couloir. Elle marchait si vite que ses longs cheveux bruns et lisses volaient derrière elle.
« Maman ! » appela-t-elle. « Maman ? »
Une vieille femme aux cheveux blanc vaporeux parut à la porte au bout du couloir.
« Madame Lucie est partie en courses.
-Encore ! Mais elle n’a pas assez de robes comme ça dans son placard ?
-Mademoiselle Enwe…
-Oh, nounou ! Et puis j’en ai assez, moi ! je…
-Enwelenn ! la coupa la vieille dame. Il y a un bal ce soir, vous n’avez même pas de robe à vous mettre ! Vous n’allez tout de même pas encore arriver avec une de vos robes déchirées ? Votre mère est partie vous en racheter une. La pauvre femme va devenir folle ! Ce n’est pas des manières de jeune fille, de courir dans les bois comme une souillon ! Surtout une fille de ducs…
-Nounou ! Tu m’embêtes. Je ne veux pas devenir une courtisane, moi !
-Voilà encore une de ces idées que vous auront mises en tête votre père et votre mère ! Une femme, ça reste au foyer gentiment, ça brode, ça fait des enfant, mais ça en part pas à la guerre, ça ne… »
Enwelenn s’enfuit en courant. C’était l’énième conversation qu’elle avait à ce sujet avec sa nourrice, jamais la dernière. Il fallait être belle, digne, inaccessible. Il fallait regarder dédaigneusement les passants dans la rue, il fallait porter des robes richement brodées, il ne fallait pas pleurer, ni rire, ni courir dans les bois , ni salir ses jupons, ni manger avec les doigts…Autant de règles qu’Enwelenn transgressait avec satisfaction. Autant de petits bonheurs que lui avaient appris au fil de son enfance ses parents. Elle n’avait jamais manqué de rien : ni d’amour, ni de nourriture, ni de cadeaux. Grâce à ses parents, elle savait ce qu’était le bonheur. Dès sa plus jeune enfance, son père lui parlait comme à une adulte, lui montrait les arbres, les papillons, les ciels, lui décrivait la ville, lui racontait des histoires. Sa mère lui racontait les mythes, les campagnes du sud du Zulma, les arbres-mères dont naissaient les farfadets, êtres de chair et d’os, parcourus non par du sang, mais par de la sève. Malgré tout ce bonheur autour d’elle, elle n’avait parlé que tardivement. Mais dès son premier mot, elle sut parler correctement. Ce premier mot fut son prénom : paix…
A quelques mois, on lui fit cadeau d’une licorne ailée qu’elle nomma plus tard Philyra. L’animal l’accompagnait partout.
Bref, l’enfance d’Enwelenn fut paisible et heureuse.
Mais, à 14 ans, elle dut aller vivre à la ville.
Et ce fut son cauchemar.
Elle qui avait grandi dans la nature, le calme, elle découvrit Omnicitta, son bruit, ses échoppes. Puis elle s’y habitua. Elle aima regarder le soleil se levant sur les toits, la lumière qui colorait les murs, les façades. Elle aima ses odeurs, la cannelle, la muscade, les épices, le pain chaud le matin, l’air frais sur son visage, la rosée sur le bord de sa fenêtre. Elle aima les fillettes vêtues de guenilles dans la rue. Elle aima les jardins du palais impérial le matin quand il n’y avait personne. Elle aima la ville, à sa manière.
Mais elle découvrit aussi la cour. Une cour aux dames futiles, aux princes qui l’étaient tout autant. Enwelenn détesta cette ville-là. Elle lui semblait mesquine et dépourvue du moindre intérêt. Les seuls endroits qu’elle aimait au palais étaient les jardins, les cuisines. Les servantes, quoique scandalisées par sa liberté, appréciaient cette drôle de gamine.
Durant ses pérégrinations quotidiennes dans les faubourgs fangeux, elle se fit une sacrée réputation de fille qui n’avait pas froid aux yeux. Les fillettes crasseuses l’admiraient et, quand elle passait dans leur champ de vision, elles ne pouvaient plus en retirer leurs yeux jusqu’à ce qu’elle soit partie. Sa cour à elle se forma de petits voyous. Tous étaient subjugués par sa force de caractère, ses yeux, son beau visage. Les petites filles aux joues boueuses lui offraient des bouquets de fleurs éphémères, pâquerettes, coquelicots qu’Enwelenn mettait dans sa poche comme des talismans.Enwelenn continua de marcher à grandes enjambées dans les couloirs du palais, fulminante, pour sortir d’un pas rageur de sa maison. Elle parcourut quelques rues de son quartier, riche car proche du palais royal, arriva au caravansérail. Là, dans une des boutiques, devait se trouver sa mère, pensait-elle.

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